bulletin de la Société Jules Verne


199 Novembre 2019

[ TABLE DES MATIÈRES

1 LA RÉDACTION :
Éditorial
2 LA RÉDACTION :
Actualités
3 J.-P. Albessard, P. Gondolo della Riva, l. Sudret, V. Dehs :
Adieu et coup de chapeau à olivier dumas (1929-2019)
9 L. Sudret :
Michel Serres (1930-2019)
12 J. demerliac :
Brian Taves (1959-2019)
14 L. Sudret :
Un week-end à la Saline royale
16 P. Gondolo della Riva :
L’exposition de Turin
Dossier théâtre (II)
20 V. Dehs :
La correspondance de Jules Verne avec Adolphe d'Ennery et Cie à propos des Voyages au théâtre (seconde partie)
73 S. Schmidt:
Les Tribulations d’un Français en France
79 V. Dehs :
« Installer l’infini de l’univers sur la scène. » Le théâtre de Jules Verne vu par Sylvie Roques
83 J.-A. G. Vlachos :
Le Vieillard sous la Lune ou : Jules Verne marieur divin (récit autobiographique en cinq actes)
Textes divers
98 Z. Coussa :
À propos de la traduction de l’œuvre de Jules Verne en arabe
113 J.-C. Bollinger :
Note de lecture. De nouveaux matériaux pour Nemo ?
114 B. Krauth :
Note sur la durée de la visibilité du Rayon vert
115
Table des illustrations

[ Éditorial

L’année 2019 a été tristement marquée par la disparition de trois éminents spécialistes et grands amateurs de Jules Verne : Olivier Dumas, notre ancien président et président d’honneur pendant de longues années, le philosophe Michel Serres et l’historien du cinéma américain Brian Taves. C’est à eux que ce numéro rend hommage.

Le dossier sur le théâtre se poursuit avec la deuxième partie de l’importante correspondance Verne-d’Ennery, qui donne d’intéressants aperçus de cet univers parallèle de la production vernienne, impossible à négliger désormais. Voilà ce qui est d’ailleurs démontré par la récente publication de Sylvie Roques que nous commentons. Stefan Schmidt présente une trouvaille sur l’adaptation des Tribulations d’un Chinois en Chine, et le dossier est clos par un témoignage autobiographique de l’écrivain grec Ioannis-Andreas G. Vlachos, lié – très intimement – à la pièce Michel Strogoff.

S’ajoutent les expériences personnelles de Bernhard Krauth à propos du Rayon vert, non pas le roman mais le phénomène météorologique, présenté non par un scientifique mais par un marin, complétant ainsi l’article de Eric Frappa paru dans notre numéro précédent. Jean-Claude Bollinger ajoute une note à propos de Vingt mille lieues sous les mers. Ce bulletin aborde enfin un autre sujet qui ne l’avait encore jamais été : l’introduction des Voyages extraordinaires dans la culture des pays de langue arabe bien que les premières traductions datent déjà du XIXe siècle. Zaki Coussa commence à combler cette lacune en documentant sa dimension bibliographique.
La rédaction.

[ Les tribulations d'un Français en France


Par Stefan Schmidt


1. Un faux départ

En décembre 1886, deux années environ avant que Jules Verne et Adolphe d’Ennery aient entamé l’adaptation scénique du roman Les Tribulations d’un Chinois en Chine, les quotidiens signalèrent un projet bien différent :

« Par une lettre en date du 17 courant M. Jules Verne a autorisé MM. Paul Vincent et Jean Mesnil à tirer une pièce de son roman les Tribulations d’un Chinois en Chine. »1

Bien que Verne ait laissé une liste manuscrite des adaptations dramatiques qu’il avait autorisées, le projet cité était resté inconnu jusqu’à présent parce que la liste ne commence qu’en 18872.

Vincent et Mesnil étaient des auteurs débutants – notoirement sans succès, mais dont les tentatives littéraires furent de temps à autre mentionnées dans les journaux. Un mois auparavant, le même quotidien avait annoncé que Vincent et Mesnil collaboraient à un grand drame intitulé L’Albanaise 3. Les Tribulations étaient destinées à lui faire suite, mais il ne devait pas en être ainsi car les deux auteurs se séparèrent entre-temps et ce fut la dernière fois qu’ils furent cités ensemble.

En 1887, Mesnil fonda « la Société les Inédits »4, une association d’auteurs, avec trois autres partenaires, mais sans Vincent, et Jules Verne disparut de ses ambitions littéraires. Vincent, en se passant de Mesnil, s’essaya à un opéra-comique en un acte, intitulé Royal- Champagne 5, tout en restant en lien avec Jules Verne qui l’avait autorisé, en 1888, à adapter sa nouvelle Martin Paz, fait confirmé par la liste indiquée ci-dessus. D’après ce que nous savons, Jules Verne n’autorisa une deuxième adaptation que pour deux raisons :
1° l’expérience positive d’une adaptation déjà réalisée avec succès (exemple : William Busnach et Georges Maurens avec Mathias Sandorf et Le Chemin de France) – mais ce n’était pas le cas dans l’affaire Vincent/Mesnil ;
2° l’obligation d’indemniser un auteur d’abord engagé, puis remercié avant la fin du projet (voir Édouard Cadol avec Le Tour du monde en quatre-vingts jours et Un neveu d’Amérique). Cette possibilité paraît plus probable.

Les autorisations étaient généralement limitées à trois ou même deux années seulement ; dans les deux cas, l’autorisation accordée à Vincent n’était pas encore arrivée à son terme lorsque Verne changea d’avis et décida de s’occuper lui-même d’une adaptation du Chinois. D’où la nécessité d’un accommodement. Vincent avait d’ailleurs peut-être déjà terminé son adaptation à cette époque-là. Dans ce cas, il se serait présenté chez les directeurs de théâtres qui avaient déjà eu de grands succès avec les pièces tirées des romans de Verne, comme par exemple Félix Duquesnel (illus.) dont la mise en scène initiale de Michel Strogoff avait, pendant une année entière, suscité l’enthousiasme du public parisien, et qui dirigeait depuis 1884 le Théâtre de la Porte-Saint-Martin. En s’adressant personnellement à Duquesnel, Vincent – toujours selon cette hypothèse – aurait pu être directement éconduit, car si Duquesnel avait approuvé l’idée d’une mise en scène des Tribulations d’un Chinois en Chine, il aurait certainement préféré s’adresser directement à Verne et d’Ennery. Il était un familier, voire un ami des deux auteurs, donc dans la position de les convaincre de s’engager eux-mêmes.

Ce qui est sûr, c’est que Verne abandonna son projet de faire écrire cette pièce par quelqu’un d’autre et de se borner à toucher sa part sur les bénéfices. Pendant quelques années (après les échecs du Voyage à travers l’impossible et surtout Kéraban-le-têtu et Les Erreurs d’Alcide, resté dans les coulisses) il s’était retiré du théâtre, à l’abri des critiques malveillants et sans s’occuper désormais de son collaborateur qui se montrait de plus en plus difficile. Son revirement est donc pour le moins surprenant : il écrirait le Chinois – et le ferait une fois de plus avec d’Ennery ! Que sa volte-face fût le fait de d’Ennery lui- même (ce dernier s’était adressé en 1887 à Jules Verne pour lui demander un roman approprié à une autre adaptation, mais Verne avait remis ce projet à l’année suivante)6 ou que la suggestion fût renforcée par l’intervention de Duquesnel, nous l’ignorons. Toujours est-il que Duquesnel fut impliqué dans l’affaire dès le début, comme nous allons le voir.

Vincent s’arrangea bon gré mal gré de cette situation, accepta de se mettre à l’adaptation d’un autre texte des Voyages extraordinaires, Martin Paz, et se contenta sans s’offusquer d’une nouvelle peu intéressante. Publiée pour compléter le roman Le Chancellor (1875), jugé trop court par Hetzel, la nouvelle avait aussi déplu à certains contemporains du romancier : « œuvre de jeunesse, Martin Paz est indigne du Jules Verne que nous connaissons »7.

Et d’Ennery ? Comme initiateur du projet et figure de proue du mélodrame, il avait certainement le droit de s’attribuer le choix d’un roman. Il s’intéressa peut-être par hasard à un titre sur lequel un autre auteur avait déjà travaillé et celui-ci devait lui abandonner la place. Toutefois, la longue liste de ses œuvres montre suffisamment qu’il acceptait facilement d’adapter des sujets soumis par d’autres que lui, et ce fut peut-être le cas dans l’affaire du Chinois.

Louis-Jules Hetzel évoque la pièce dans une lettre adressée à Verne le 21 novembre 1888 en lui demandant : « Les Tribulations d’un Chinois deviennent-elles la vôtre ? Il me semble qu’il y a une maladie qui doit contrarier vos projets. 8» Une maladie passagère de d’Ennery, signalée le 6 novembre par le Figaro, avait en effet ajourné le travail commun sans pourtant le rendre impossible : la collaboration pouvait alors commencer, mais les problèmes inhérents au choix du roman commençaient à leur tour à surgir...

2. Retour à la villa maudite

Le 6 décembre 1888 Jules Verne partit au cap d’Antibes pour y passer un mois avec d’Ennery afin d’y discuter l’adaptation projetée et développer en commun le scénario qui devait guider à son retour l’élaboration de la pièce. Le 1er janvier 1889 Verne, à la Villa des Chênes verts 9 (illus. 56 et 57), prévint son éditeur : « Nous travaillons beaucoup à la pièce chinoise ; mais c’est difficile.10» À la même époque, Duquesnel, ayant le sens des affaires, s’empressa d’informer la presse de cette collaboration...

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Félix Duquesnel. Photos : © A. Bert in L’Illustration théâtrale , 7e année, n° 193.

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