bulletin de la Société Jules Verne


198 Mai 2019

[ TABLE DES MATIÈRES

1 LA RÉDACTION :
Éditorial. In memoriam Michel Serres
2 L. SUDRET :
Un anniversaire incontournable
4 LA RÉDACTION :
Actualités
Dossier théâtre (1)
9_14 V. Dehs :
La fortune méconnue des Pailles rompues
15_26 V. Dehs :
Quelques compléments à la Théâtrographie de Jules Verne
27_67 V. Dehs :
La correspondance de Jules Verne avec Adolphe d'Ennery et Cie à propos des Voyages au théâtre (1er partie)
68_73 B. Wattier :
Le Tour du monde en 80 jours : Jules Verne et l'ethos de la fantaisie
Textes divers
74_76 C. Guillon :
Quand Léon Guillon devient Jules Verne
77_89 È. Frappa :
Jules Verne et le mystère du rayon vert
89 L. Sudret :
Glanes et notules
90_91 A. Tarrieu :
Les 1000 yeux de Tarrieu
92_93 J. Crovisier :
Humbug et balivernes - Monsieur Prudhomme et l'équation de Jules Verne
94 LA RÉDACTION :
Le diable est toujours dans les détails
95
Repères bibliographiques 2018-2019
116
Table des illustrations

[ Éditorial

2019 est une année « dramatique » : ce n’est pas seulement le 200e anniversaire de la naissance de Jacques Offenbach et le 150e de la mort d’Hector Berlioz, c’est également la 120e année de la mort du dramaturge Adolphe d’Ennery. C’est à ce dernier ainsi qu’aux relations qu’il entretint avec Jules Verne pour la création des Voyages au théâtre que nous consacrons une partie de ce numéro. Il sera à nouveau question du théâtre de Jules Verne, récemment analysé dans un ouvrage passionnant de Sylvie Roques1, dans le prochain numéro.

Laurence Sudret rappelle un autre centenaire – celui de Vingt mille lieues sous les mers – alors qu’Éric Frappa jette un nouveau regard sur les sources ignorées du roman Le Rayon-Vert. Une autre « énigme » est résolue par Claude Guillon qui identifie deux faux portraits de Jules Verne. Enfin, les années 2018 et 2019 ont vu la publication de plusieurs études novatrices et stimulantes dont témoignent les « Repères bibliographiques » qui closent ce Bulletin.

Ce numéro ainsi que le précédent ont pris du retard que nous prions notre public de bien vouloir excuser. Nous espérons que les textes et les images compenseront en partie cet inconvénient..
La rédaction.

[ Jules Verne et le mystère du rayon vert


Par Éric Frappa


1. Introduction

Le Rayon-Vert de Jules Verne paraît en 1882 et met en scène le phé- nomène optique du même nom, à travers les aventures romanesques d’Héléna Campbell. Alors que ce photométéore est quasiment absent de la littérature, ne faisant l’objet que de quelques parutions éparses, il devient dans les années qui suivent le centre d’attention de nombreux membres de sociétés savantes, en France et dans le monde. À partir de cette date, les comptes rendus d’observateurs se multiplient dans les revues, et les érudits, expérimentés ou non, débattent sur la nature du fameux rayon. Ce changement net et le fait que nombre d’auteurs citent le roman vernien dans leurs articles1 montrent qu’il a joué le rôle de déclencheur d’un engouement inédit. Avec Le Rayon-Vert, Jules Verne nomme pour la première fois le phénomène, qui acquiert ainsi un statut d’objet scientifique à part entière et attise la curiosité des férus de nature et de science.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois, ni la dernière, que Jules Verne utilise le rayon vert dans ses romans. La première occurrence apparaît en 1877 dans Les Indes-Noires. Le rayon sera aussi mentionné par la suite dans Mirifiques Aventures de maître Antifer (1894), dans Les Naufragés du Jonathan (écrit en 1897-1898 sous le titre original En Magellanie et publié en 1909) et enfin dans Le Phare du bout du monde (écrit en 1901 et publié en 1905)2.

2. Publications connues antérieures à 1876

En 1876-1877, alors que Jules Verne écrit Les Indes-Noires, seules cinq publications connues à ce jour mentionnent des observations apparentées au rayon vert3 :

- W. H. : « The blue Colour of the Sea. » In Magazine of Natural History vol. 2, n° 8, 1829, p. 297.
- G. Back : Narrative of an Expedition in H.M.S. Terror, undertaken with a view to Geographical Discoveryon the Arctic Shores, in the years 1836-7. London : John Murray, 1838, p. 191.
- P. G. Maggi : « Sopra alcune apparenze del Sole presso all’ orizzonte. » In Atti delle Adunanze dell’ I. R. Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti tome 3, série 2, 1852, pp. 186-189.
- J. P. Joule : « On an Appearance of the Setting Sun. » In Proceedings of the Literary and Philosophical Society of Manchester vol. 9, 1869, p. 1.
- D. Winstanley : « Atmospheric Refraction and the Last Rays of the Setting Sun. » In Proceedings of the Literary and Philosophical Society of Manchester vol. 13, n° 1, 1873, pp. 1-4.

W. H. (1829) et Back (1838) ne contiennent qu’une brève mention isolée décrivant, pour l’une, un rayon vert au coucher du soleil sur la mer : « the last ray of the setting sun, on a fine calm evening at sea, which was of a bright emerald green » ; et pour l’autre, un rayon vert au lever du soleil sur un promontoire : « In the morning [...] I had observed the upper limb of the sun, as it filled a triangular cleft on the ridge of the headland, of the most brilliant emerald colour ».

La contribution de Maggi (1852) est plus longue et rapporte la couleur bleu intense du bord supérieur du soleil lorsqu’il se couche sur des montagnes distantes.

Joule (1869) est un entrefilet relatant une observation de J.Baxendell : « at the moment of the departure of the sun below the horizon, the last glimpse is coloured bluish green » et la propre expérience de Joule qui a constaté la même chose « on two or three occasions ». La publication contient également le dessin d’un soleil oméga (voir plus loin).

Winstanley (1873) est la plus complète des contributions citées. Elle est inspirée par Joule (1869) dont elle reprend le contenu (sans le dessin) en début d’article. C’est aussi celle qui a bénéficié de la plus large diffusion puisqu’elle est parue dans les Proceedings of the Literary and Philosophical Society of Manchester en 1874 (lue en séance le 7 octobre 1873), mais aussi entre temps dans au moins trois autres journaux scientifiques, à savoir Nature du 6 novembre 1873 (p. 20), The Chemical News du 14 novembre 1873 (vol. 28, n° 729, pp. 254-255) et Scientific American du 20 décembre 1873 (vol. 29, n° 25, p. 389). Elle rapporte le phénomène observé au soleil couchant, depuis Blackpool en Angleterre, « certainly more than fifty times », présentant une couleur variable, souvent « bluish-green », quelquefois « quite blue », et ressemblant à l’œil nu à « a green spark of large size and great intensity, very similar to one of the effects seen when the sun shines upon a well cut diamond ». Nous y reviendrons.

Tous les articles ci-dessus sont écrits en anglais ou en italien. Jules Verne ne lisant ni l’un ni l’autre, ils n’ont pas pu servir de référence, en l’état, au romancier. Notons au passage que trois publications supplémentaires en anglais paraissent avant 18824. N’étant que de brèves descriptions, nous ne les détaillerons pas ici.

Enfin, rappelons que les sources données dans Le Rayon-Vert sont entièrement fictives. L’article du Morning Post (ch. III) n’existe pas, et la vieille légende écossaise (ch. III) est une pure invention de l’éditeur Pierre-Jules Hetzel, exposée dans une lettre datant de février 1882 et reprise quasiment mot pour mot par Jules Verne, dans le but d’étoffer, pour le lecteur, les motivations de la jeune héroïne5. Bien qu’imaginaire, cette légende sera considérée comme réelle pendant des dizaines d’années par de nombreux auteurs écrivant sur le rayon vert.

Ainsi, pendant longtemps, l’origine de la connaissance précoce du rayon vert par Jules Verne est restée un mystère, notamment pour les spécialistes d’optique atmosphérique qui s’intéressent de près aux publications anciennes sur le sujet.

3. Découverte d'un article pré-Verne en français

Après avoir compulsé quelques dizaines de milliers de pages de revues (La Nature, Cosmos-Les Mondes, La Revue des Deux Mondes, La Revue scientifique, La Science Illustrée, L’Année scientifique et industrielle, Le Moniteur scientifique, Les Petites Chroniques de la science, etc.), nous avons découvert une traduction française de l’article de Winstanley (cité section 2) dans la revue Cosmos-Les mondes de l’Abbé Moigno en septembre 18746. La présence de cet article dans cette revue particulière est très intéressante, car nous savons qu’elle était lue par Jules Verne7 et disponible à la bibliothèque de la Société Industrielle d’Amiens8. Il se trouve aussi que l’Abbé Moigno était le correspondant parisien de la revue The Chemical News9 qui a elle-même publié l’article original en 1873 (voir ci-dessus). Cependant, la traduction utilisée par Moigno provient d’une autre revue, L’Institut, qui a publié l’article en français dès juillet 187410. Dans les deux revues, la traduction est signée H.S., qui serait un certain Henri Sagnier selon d’autres signatures présentes dans L’Institut. Les deux textes sont identiques, si ce n’est la coquille sur le nom de Winstanley (« Winstanlay » dans la revue de Moigno).

Ainsi, nous pouvons lire, et Jules Verne avec nous, dans Cosmos-Les Mondes en 1874...

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Trois phases du soleil descendant. Photos : © Éric Frappa.

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